top of page

Le curé et la fille du maire de Prunoy

                          Le 11 décembre 1878, dans sa rubrique ''Echos de Paris'', ''Le Gaulois'' reproduisait le texte
d'une lettre envoyée à la rédaction d'un journal républicain auxerrois et concluait son article par un
commentaire plutôt insultant à l'encontre de son auteur :

                          « Ceci est le comble du cynisme !
                          Les journaux républicains publient la lettre suivante d'un prêtre qui plaide la cause des

enterrements civils:

                                                               Monsieur le rédacteur,

                          Plusieurs amis viennent me demander comment il peut se faire que mon beau-père, M.
Patureau, maire de Prunoy, ait été enterré jeudi dernier avec le concours d'un prêtre romain, lui qui
pendant toute sa vie avait vécu en libre-penseur et formellement demandé un enterrement civil.

Je tiens à répondre à ces amis par la voie de la publicité, et à leur dire que je proteste

hautement contre cette violation inconsciente des droits les plus sacrés.

                          La famille entière était consentante à faire respecter les suprêmes volontés de cet homme de bien. Il ne s'est trouvé qu'une voix sur douze pour dire à la veuve « Vous feriez peut-être mieux de suivre les habitudes du passé ». Or, dans ces moments de trouble et de grande douleur, elle a trouvé qu'il était peut-être mieux de suivre ce conseil. Et pourtant le défunt, homme religieux, puisque tous les pauvres de tout le canton de Charny avaient un droit acquis a sa table, ne cessait de répéter ces paroles « Depuis l'âge de ma raison, je n'ai jamais voulu mettre les pieds à l'église, où tout se réduit à l'argent et à la grimace; je défends que l'on m'y porte après ma mort; ma conscience me dit que le Dieu que j'adore vaut mieux que celui qu'ont forgé les prêtres romains ».

Recevez etc.


                RENAULT, prêtre libéral
                          Si ce prêtre libéral n'est pas un joli mystificateur, ce doit être un toqué, il n'y a donc plus de

place disponible à Charenton? »

                          Malgré son agressivité, le journaliste du ''Gaulois'' aurait été moins définitif dans ses
conclusions s'il avait eu connaissance de cette information donnée par un confrère de ''La Presse'', trois
ans et demi plus tôt, le 11 juin 1875 exactement:

                          - Yonne. Par arrêté de M. le préfet de l'Yonne, en date du 8 juin courant, M. Patureau, maire de la commune de Prunoy, arrondissement de Joigny, est suspendu de ses fonctions pour deux mois. Tout  le monde s'accorde à dire, dit le Progrès de l'Yonne, que la cause de cette suspension est le mariage récent

de Mlle Patureau avec M. Renaud, ancien curé de Prunoy, actuellement curé vieux-catholique à Chêne-
Bourg, près de Genève.

                         Quels sont les tenants de cette affaire de Prunoy dont on trouve les échos jusque dans la

presse parisienne ?

                         Le 26 novembre 1878, à l'auberge du village tenue par Claude Moutardier, Charles Alphonse
Patureau, maire de Prunoy depuis le début de l'année 1872, rendait l'âme à l'âge de 52 ans, et c'est son
inhumation selon les rites de l'église catholique qui ouvrit la polémique dans la presse, à la suite d'un
courrier de son gendre....curé de son état ! Le défunt était domicilié à la ferme du château de Vienne ( dit
aujourd'hui château de Prunoy), qu'il exploitait avec son épouse, Bathilde Morin. Trois de leurs quatre
filles s'étaient mariées à Prunoy dans la décennie écoulée , Elvire en 1867 avec Charles Gilbert, jeune

sculpteur originaire de l'Oise, Eugénie en 1868 avec Jules Béguine, maréchal-ferrant venu de Marchais-
Beton et Mélina en 1870 avec Eusèbe Chardonneau, fringant gendarme à cheval domicilié à

Châteaurenard.

                         L'état nominatif du recensement de 1872 indique dans son tableau de répartition des religions que les 689 habitants de Prunoy appartenaient tous au culte catholique romain. Malgré les convictions de son père, Mélina Patureau et son gendarme à cheval (descendu de sa monture à l'occasion!), ont donc été unis religieusement à l'église Saint-Laurent par un jeune curé qui venait d'arriver dans la paroisse, Charles Honoré Renault. Celui-ci, né le 23 août 1842, fils d'un charron d'Arquian (Nièvre) et de son épouse, avait été ordonné prêtre à Sens le 6 juin 1868, avant de prendre aussitôt ses fonctions à la cure de Fontenouilles, où il officia jusqu'à sa nomination à Prunoy le 15 février 1870.

                         Donc, un mois et demi après sa nomination, le 30 avril 1870 précisément, le nouveau curé de Prunoy bénissait l'union de la troisième fille de Monsieur le Maire avec son gendarme monté. Est-ce à
cette occasion que le prêtre fit la connaissance de Clémentine, une gamine de 14 ans née le 1
er janvier 1856 à la ferme du château comme ses aînées, jeune sœur de la mariée et dernière fille des époux Patureau ? Peut-être.... et nous ne pouvons que deviner la suite. 

                        Le scandale n'allait pas tarder à éclater. Interdit de sacerdoce le 20 août 1874, le curé devait
quitter Prunoy et sa trace se perd pour quelques mois, jusqu'à la mention de son mariage dans les
répertoires d'état-civil d'une localité suisse du canton de Genève, Chêne-Bourg. Charles Honoré Renault
y était devenu prêtre vieux-catholique de la paroisse du Chêne (l'Eglise vieille-catholique, considérée par
les catholiques romains comme une secte ou un faux-nez du parti protestant, ne reconnaît pas l'autorité
papale ; elle admet le mariage des prêtres dans un certain nombre de pays, dont la Suisse). De fait, le 25
mai 1875, l'ancien curé de Prunoy épousait à l'église de Chêne-Bourg... Clémentine Patureau (qui a
changé à l'occasion son prénom en Clémence, plus mode!), âgée de 19 ans, née à Prunoy le...etc.
                        Le gouvernement de Mac-Mahon, avec sa politique de ''l'ordre moral'', ne brillant
certainement pas par son libéralisme, et les tourtereaux étant inaccessibles, les foudres du préfet de
l'Yonne s'abattaient aussitôt sur l'infortuné maire de Prunoy (article de ''La Presse'' ci-dessus), coupable, si
l'on peut dire, d'être le père de sa fille ! Ce qui ne l'empêchait pas de devenir une fois de plus grand-père,
avec la naissance le 27 mars 1876 à Chêne-Bourg de la petite Jeanne Fanny Gabrielle Renault (qui ne
vécut qu' un mois).

                       Puis allaient suivre les sanctions de la hiérarchie catholique romaine.
                       Nous savons tous que le misérable petit village français de Ferney, situé près de la frontière
suisse au nord de Genève, est devenu l'élégante cité universellement connue à la suite du choix de Voltaire
pour en faire sa résidence....sécurisée (fuite facile en cas de fâcherie royale). A partir de 1759, le
''Patriarche'', seigneur de Ferney, consacra une partie de son immense fortune à la transformation du
village, finançant notamment la reconstruction de l'église, l'installation d'une école et d'un hôpital, et
bâtissant de ses deniers une centaine de maisons nouvelles dites ''maisons voltairiennes''. C'est dans l'une
de celle-ci, ayant appartenu à Madame Denis, la nièce de Voltaire, que Mgr Gaspard Mermillod, tout juste
nommé évêque de Lausanne et Genève, trouva asile en 1873 à la suite de son expulsion du territoire suisse par les autorités fédérales, alors en conflit avec le pape Pie IX. Tant que durèrent les tensions entre le parti protestant soutenu par le gouvernement fédéral et les catholiques appuyés par le Saint-Siège, le
prélat connut l'exil, à Ferney (Ain) jusqu'en 1880, puis à Monthoux (Haute-Savoie) jusqu'en 1883.


                      Or, dans ''Le département de l'Yonne comme diocèse'' (tome 1), nous relevons dans le très
court paragraphe consacré à Charles Renault, cette phrase sibylline : « Il y eut à Meyrin (Suisse), venant
de Joigny en suite d'un scandale, un intrus dans la paroisse du Chêne, interdit et excommunié par Mgr
Mermillod
». En fait, l'anathème toucha la plupart des prêtres dissidents favorables au gouvernement
fédéral, dès les premiers mois du conflit. 

                      Qu'en est-il finalement, en résumé ? Un petit curé de campagne qui refuse le choix imposé
entre sa passion d'homme et sa mission de prêtre est amené à émigrer. Ce faisant, il devient l'otage d'un
conflit religieux et tombe dans l'indignité d'une excommunication prononcée par un évêque, lui-même
exilé administrativement, frappé d'une ''excommunication civile'' en quelque sorte, et qui plus est, a trouvé refuge dans la ville qui a attaché son nom à celui de Voltaire, connu pour être un des plus grands

pourfendeurs de l'intolérance religieuse. Quel auteur de vaudeville aurait pu imaginer intrigue plus
ubuesque ?

                      Le curé Renault a-t-il conservé son poste à Chêne-Bourg après l'élection du pape Léon XIII
qui permit le rétablissement de relations plus sereines entre le Vatican et les autorités de Berne ? Nous ne
le savons pas. De même, nous ignorons le sort de ses père et mère, l'ancien charron d'Arquian Benoît
Renault et son épouse Julie Chevreau, venus habiter le presbytère de Prunoy en 1870 avec leur fils et cinq
adolescents pensionnaires originaires des villages voisins. Selon toute vraisemblance, ils durent quitter
Prunoy pour un lieu inconnu après l'interdit qui frappa le jeune curé. Quant à la veuve du maire, Bathilde
Morin, elle s'éteignit en 1887 au domicile de son gendre maréchal-ferrant. Celui-ci ainsi que le gendarme
à cheval eurent avec leurs épouses plusieurs enfants nés à Prunoy ; peut-être, des descendants du maire
libre-penseur vivent-ils toujours de nos jours dans la commune ou ses environs.

                     Charles Renault et son épouse Clémence revinrent à la fin de 1878 assister aux obsèques de
leur père. Nous en avons la certitude car la lettre de contestation, écrite avant ou immédiatement après la
cérémonie, fut adressée de Prunoy au journal auxerrois ''L'Yonne'' où elle fut reçue le 1

er décembre, avant d'être ensuite reproduite dans les journaux parisiens.

                     Enfin, l'ancien curé de Fontenouilles et Prunoy tint à régler ses comptes avec le parti papiste.
Dans une diatribe d'une rare violence visant son adversaire ''défroqué et renfroqué'' Victor Marchal, il
démolit le dogme du célibat imposé aux prêtres catholiques, institué selon lui à des fins sordides et
inavouables et maintenu figé comme un chef d'œuvre d'hypocrisie. Ce pamphlet de 48 pages édité en

1876 par l'imprimerie genevoise Ziegler sous le titre ironique : '' Réponse à M. Victor Marchal, ex-
missionnaire, ex-aumônier des Armées françaises, ex-curé libéral de Carouge et de La Chaux-de-Fonds,

actuellement en disponibilité '' , signé de : '' Ch. Renault, curé libéral de Chêne-Bourg '', porte en exergue
cette phrase qui dut avoir pour l'auteur force de prière : Nolit judicare et non judicemini. (Ne jugez pas, et
vous ne serez pas jugé). Il peut être lu intégralement en ligne ( sur Gallica-B.N.F., demander : Réponse à
M. Victor Marchal)

                     Après cette affaire Renault, que pouvait-il encore arriver à la paroisse de Prunoy ? Son
sabordage, par exemple ! C'est précisément ce qui arriva un demi-siècle plus tard avec la démolition de
son église ordonnée par la municipalité de gauche anticléricale, mais c'est une autre histoire !

                                                                                                                                                                          El Moro

bottom of page