Presque Rien
Un éclat de verre Securit est prélevé à la pince dans une touffe d’herbe. Le métrage à
reporter est de dix-huit mètres cinquante. Le grain est uniformément rond, indiquant une
vitesse de pulvérisation élevée. Cet éclat provient donc du point d’impact du projectile avec
le pare-brise.
Un grand pas. Deux grands pas. Inspection du périmètre suivant. Circonférence du
périmètre : plus ou moins soixante mètres. Rien n’est retrouvé. On en déduit le périmètre
final d’investigation. Aucun élément probant ne sera prélevé au-delà. On revient en arrière.
Un, deux, trois grands pas.
Appelé, le maître-chien s’approche. Au bout de la laisse, un berger Belge. À une extrémité
du chien la truffe. Noire, elle farfouille les hautes herbes en gémissant. On retrouve un gant.
Pinces. Sac Ziplock. On prélève. La truffe poursuit sa route, queue battante, à ras de terre.
Elle passe à travers l’herbe humide comme un drone téléguidé. Hume. Sniffe. Éternue. Ça
gémit à nouveau. Une trace de bottes. Geste à un photographe. Combinaison blanche.
Flash. On mesurera ça. On comparera. On trouvera la marque de la botte, la pointure.
On laisse le chien travailler.
À quatre pattes, un stagiaire. Ramassage de verre brisé. Prise de mesures. Densité. On va
savoir si la voiture s’est déplacée sous un feu nourri ou si elle s’est immobilisée avant. On se
penche sur l’épaule du stagiaire. On regarde avec lui ce qu’il éclaire avec sa frontale.
Gouttes de rosée. Éclats de verre trempé. Là, une goutte de sang. Tu vois, le verre est
rouge. On cherche des projectiles ici. Quelles munitions. Quel calibre. On avance.
Des projecteurs halogènes montés sur des pieds télescopiques entourent la carcasse de la
berline. C’est dans un rayon de deux mètres qu’il y aura le plus d’indices. On a retiré les
corps. Chaque centimètre carré est passé au peigne fin. Travail de fourmi. Cotons tiges,
tubes à essais, sacs hermétiques. Un doigt ganté passe sur le tableau de bord pour prélever
une trace ADN. Les selleries sont inspectées à la loupe éclairante. On passe le plat de la
main entre les assises et le dossier. Une carte a pu glisser. Une pièce de monnaie.
Empreintes digitales. Tout est à accumuler pour créer le faisceau d’indices qui conduira, si
possible, à la manifestation de la vérité. Des grands mots sur des choses à peine visibles à
l’œil nu. De tous petits éléments qui finiront par composer une grande image. Des identités,
des preuves, comment l’histoire a mal tourné.
Autour, la campagne se tait. Après une fusillade comme après une battue, la vie se terre,
elle se cache. En s’éloignant de la scène, le silence se fait. Les groupes électrogènes ronronnent doucement. La lumière des flashs rétrécit l’horizon. Le ciel immense recouvre tout d’étoiles. Tout paraît minuscule. Comme si ces gens, cette carcasse d’automobile, ces véhicules d’intervention, tout cela pouvait tenir dans un éclat de verre brisé.
Cuvée 89