top of page

Récits de guerre - L'Assassinat

La détonation d’un obus fait planer sa sourde résonance au-dessus des champs.

Sous un ciel lourd de suie et de plâtre en suspension les oiseaux s’envolent pesamment. Le gibier, hagard, arpente sans but la campagne.

 

Une fermette dans la plaine, à l’abri d’un vieux saule.

 

On entend un crépitement au loin, comme une guirlande de pétard, un son qui se perd dans le vent.

 

Le vieillard, lui, ça lui est égal. De toute façon il est sourd, c’est à peine s’il perçoit le chant de son coq, alors les remugles de la folie des hommes ne sont guère plus qu’un lointain grondement d’orage à ses oreilles. Tendant son long bras décharné vers le mur, il se saisit d’un balai et commence à débarrasser la cour de ses feuilles.Il en profite pour inviter les poules à se rassembler derrière leur grillage. Le soir tombe. Le vieux lève les yeux, son regard se pose un instant sur l’horizon rougi. Il lui sourit intérieurement tandis que le soleil darde le crépuscule de ses derniers rayons.

 

Une première ombre traverse le champ de vision du vieillard. Une odeur de poudre est portée par le vent. Les narines du vieux frémissent d’âcreté. Une deuxième ombre passe, très vite. Il éternue au passage d’une troisième. La silhouette se fige.Un tout jeune-homme, très grand et athlétique, chargé d’un barda militaire, fusil d’assaut entre les mains. Sa figure pouponne est affublée d’une paire de lunettes futuristes qui masquent l’expression de ses yeux. Sur leur surface orangée, le reflet du vieux, avec son balai à la main, dessine une ombre noire qui pointe, vacillante, le canon d’un fusil.

 

Le vieillard s’apprête à lever la main en signe de salut quand l’arme de guerre projette six balles de calibre 45 dans sa direction. La recrue a déjà repris sa course.Le corps sans vie du vieil homme un instant tournoie sur lui-même, comme retenu par un fil invisible, puis s’affale, sans un bruit, dans un tourbillon de feuilles et de plumes.

 

On n’entend plus rien, à peine quelques foulées boueuses. La brume s’est levée, recouvrant d’un linceul la campagne orpheline…

 

Cuvée 89

Capture d’écran 2024-04-01 à 16.51.52.png
bottom of page